ARTICLES ET CONFÉRENCES
Désinsectisation
des œuvres d’art
par anoxie

Les insectes ennemis des objets de bois ou matières animales

 

Pour les acteurs du monde de l’art tribal, qu’ils soient marchands, collectionneurs ou conservateurs de musée, l’un des pires ennemis des objets faits de bois ou de matières animales sont les insectes.

Normalement, dans l’atmosphère saine et contrôlée des musées, les risques sont limités sans pour autant être nuls, mais ailleurs, que ce soient dans une galerie ou chez un collectionneur, ils sont bien réels.

Les insectes xylophages sont nombreux, mais deux d’entre eux sont très souvent responsables de sévères attaques : les vrillettes et les lyctus. Pour ce qui concerne les peaux, l’ennemi à combattre est le dermeste, et pour les plumes, les mites.

Insectes xylophages : petites vrillettes

Dans le cas précis des objets en bois, l’infestation commence par la ponte, par une femelle adulte, d’œufs à la surface de la pièce. Des larves vont alors naître, puis ingérer le bois pour se développer, creusant ainsi des galeries à des profondeurs variables. A la fin de son cycle de développement, la larve en fin de mue va chercher à sortir en forant un trou caractéristique, pour finalement s’envoler et mener une vie brève à l’air libre. L’intensité de l’activité des larves est liée à la température et au degré d’humidité.

Trous d’envol récents d’insectes

Ainsi, il arrive qu’elles restent en sommeil à l’intérieur d’une sculpture, pour se réveiller à la faveur d’une élévation de la température.

Les signes d’une infestation active sont, notamment, la présence de cônes de vermoulure de couleur claire, au sol et au droit des trous d’envol. L’intérieur de ces trous doit être également de couleur clair, avec de la vermoulure autour. A l’inverse, une poudre de bois de couleur plus foncée tombant d’un objet quand on le manipule est plutôt le signe d’une ancienne attaque.

Dégat d’insectes

Les traitements

 

Partant de là, divers procédés de traitement ont jadis été employés, et pour certains d’entre eux, continuent de l’être. Celui qui vient le premier à l’esprit est le traitement, par infiltration dans les trous d’envol, d’un agent insecticide liquide de type Xylophène. Outre le fait que ce type de produit est extrêmement nocifs pour l’utilisateur, il présente l’inconvénient majeur de créer des efflorescences en surface, sans garantie d’efficacité totale de surcroît. Toutes ces raisons sont à mon sens suffisantes pour le disqualifier une fois pour toutes…

D’autres méthodes comme l’irradiation Gamma ou la congélation ont également été expérimentées, avec plus ou moins de réussite et non sans effet sur les objets.

Voici pourquoi d’autres recherches ont été entreprises ces dernières années, en direction de l’élaboration d’atmosphère sans oxygène : l’anoxie.

 

Anoxie statique et anoxie dynamique

 

Le principe de traitement par anoxie consiste à confiner l’objet infesté pendant un temps donné (de l’ordre de 3 semaines) dans une atmosphère sans oxygène (avec une tolérance de 0,1%). Le traitement doit être entrepris à une température où les larves sont actives, soit 22° C minimum.

Son efficacité a été démontrée à tous les stades de développement de l’insecte ; il est de surcroît totalement inoffensif pour les oeuvres.

Partant de ce principe, deux formes de traitement sont possibles ; leur choix dépend principalement du volume à traiter.

Le traitement par anoxie statique

Le traitement par anoxie statique est adapté aux pièces de faibles dimensions. Il consiste à placer l’objet dans une poche étanche contenant des absorbeurs d’oxygène. La poche est réalisée avec un film transparent soudé à la pince chauffante, aux dimensions adaptées à l’objet. Les absorbeurs d’oxygène sont des pochettes étanches micro-perforées contenant notamment de la poudre de fer. Quand les pochettes sont ouvertes dans la poche, juste avant la fermeture de celle-ci, une réaction électrochimique se produit : le fer s’oxyde et absorbe l’oxygène.

 

Pour les pièces de grandes dimensions (meubles, éléments d’architecture), on a généralement recours à l’anoxie dynamique.

Cabine anoxie dynamique

 

Au lieu de mettre l’objet dans une poche, on le place dans une cellule d’anoxie, dont les dimensions sont voisines de celle d’une chambre d’appartement. La cellule peut sans problème, pour raison de rentabilité, être remplie d’objets à traiter. Une fois la porte étanche fermée, le cycle de traitement peut démarrer.

A la différence de l’anoxie statique, on vient régulièrement injecter un gaz inerte tel que de l’azote dans le volume de la cabine ; ce gaz vient en quelque sorte prendre la place de l’oxygène, d’où le qualificatif de dynamique.

La durée du cycle est le même que pour le traitement en anoxie statique et le résultat tout aussi probant : tout être vivant en début de cycle ne l’est plus à la fin.

 

Aujourd’hui, de nombreux musées, conscients de la réalité du problème que posent les insectes “mangeurs d’objets”, ont recours systématiquement à l’anoxie au titre d’une “remise à zéro” de l’état sanitaire de leurs collections.

 

Ce fut le cas du musée du Quai Branly, qui mena deux grandes campagnes de décontamination entre 2001 et 2004 lors du déménagement des collections.

Compte tenu de l’ampleur du chantier (300 000 objets) et des impératifs de temps “à flux tendu”, les traitement ont été effectués à des températures bien au-dessus de 22 °C, ce qui a permis d’abaisser la temps de traitement à 14 jours. En effet, plus la température est élevée et plus l’insecte, en état d’hyperventilation, respire de l’azote à la place de l’oxygène, d’où une mort plus rapide.

Toutefois, pour le cas de traitement courant dans un contexte privé (galerie, collectionneurs), il est préférable de maintenir une durée de 21 jours.

Quelques conseils de prévention

Enfin, pour garder un œil vigilant sur l’environnement d’une collection, il existe un petit accessoire bien utile qui permet de détecter la présence d’un agresseur : le piège lumineux à insectes.

Il s’agit d’une lampe à éclairage indirect munie d’un écran recouvert d’une surface adhésive. Attiré par la lumière, tout insecte volant viendra immanquablement s’y coller.

Quelques notions d’entomologie permettront alors de déceler la présence éventuelle de xylophages, et de décider à la suite de traiter ou non les objets environnants.

 

Serge Dubuc – restaurateur de sculptures & objets d’art

Un remerciement particulier à Aurélie Fortin, atelier 3PA – 3pa.cabanova.fr